Au début des années 2020, le consensus de la Silicon Valley se délite. Inégalités folles, stagnation de la productivité, instabilité endémique... la nouvelle économie n’est pas advenue. Les algorithmes sont omniprésents, mais ce n’est pas pour autant que le capitalisme s’est civilisé. Au contraire. La thèse de ce livre est qu’avec la digitalisation du monde se produit une grande régression. Retour des monopoles, dépendance des sujets aux plateformes, brouillage de la distinction entre l’économique et le politique : les mutations à l’œuvre transforment la qualité des processus sociaux et donnent une actualité nouvelle au féodalisme. L’ouvrage commence par proposer une généalogie du consensus de la Silicon Valley et met en évidence les cinq paradoxes qui le minent. La thèse centrale est ensuite déroulée, rythmée par des développements sur les GAFA, les chaînes globales de valeur ou encore le système de crédit social chinois. Les grandes firmes se disputent le cyberspace pour prendre le contrôle sur des sources de données. Les sujets sont attachés à la glèbe numérique. Dans l’ordre économique qui émerge, les capitaux délaissent la production pour se concentrer sur la prédation.
Cédric Durand propose dans "Techno-féodalisme" une analyse critique de l'économie numérique. Au travers de quatre parties, cet ouvrage cherche à démontrer la thèse d’une résurgence des mécanismes féodaux dans l’économie numérique.
Chapitre 1 : Misère de l’idéologie Californienne
Malgré l’idéologie derrière le développement de l’économie numérique, il peut être constaté cinq paradoxes derrière le « consensus de la Silicon Valley » : tout d’abord, le retour des monopoles (« le paradoxe de la start-up »), ensuite la préférence pour le contrôle (« le paradoxe du nouvel esprit du capitalisme »), ainsi qu’une polarisation spatiale accrue (« le paradoxe des intangibles ») et une innovation sans croissance (« le paradoxe schumpetérien »). Et enfin la résilience de l’Etat entrepreneur (« le paradoxe européen »). A contrario du mythe d’un développement concurrentiel et plus démocratique grâce à la sphère numérique, ces paradoxes sont les symptômes de la reféodalisation de la sphère publique.
Chapitre 2 : De la domination numérique
Cette deuxième partie met en lumière les mécanismes de domination du numérique. Ainsi, le cyberespace est considéré comme un territoire de conquête pour les entreprises du numérique. Depuis le développement des start-ups de la Silicon Valley, le cyberespace s’est structuré et a été exploité autour des plateformes des géants du numérique (comme les GAFAM). Dans ce sens, cet espace initialement libertaire, puis commercial, a vu naître une gouvernementalité basée sur les algorithmes. Les plateformes sont ainsi devenues des fiefs dans lesquels l’autonomie des citoyens est progressivement confiée à ces entreprises par des mécanismes d’automatisation.
Chapitre 3 : Les rentiers de l’intangible
L’économie numérique s’est structurée autour de mécanismes de rentes, exploitées par les géants du numérique. Ces « rentiers de l’intangible », comme décrit par Cédric Durand, ont profité d’une monopolisation intellectuelle dans la mondialisation : celle de « la fragmentation productive sur la distribution de la valeur dans la chaîne globale », imagée par la Smile curve de la répartition de la valeur. Les géants du numériques ont réussi à se placer dans les segments les plus intenses en connaissances, où « la captation de valeur est maximal ». Ainsi, l’auteur nous expose trois types de rente pour mieux comprendre le phénomène en place dans l’économie du numérique : la rente de monopole naturel, la rente différentielle des intangibles et la rente d’innovation dynamique. Le développement d’un capitalisme numérique autour des rentes suggère ainsi la mise en place d’un capitalisme monopolistique.
Chapitre 4 : L’hypothèse techno-féodale
Cœur de l’ouvrage, cette dernière partie met en avant la thèse de l’auteur : l’hypothèse que l’économie du numérique converge vers une économie féodale. C’est pour cela qu’il définira d’abord le féodalisme pour ensuite expliquer la logique du techno-féodalisme. Ce dernier point apporte des éclairages sur la structure des coûts numériques, la mise en place d’un rapport de dépendance, ainsi que la possibilité d’une régulation prédatrice.
Le livre de Cédric Durand apporte une grille de lecture d'inspiration marxiste sur la problématique de l'économie numérique. Ainsi, il sera question des rapports de forces, des limites et des dérives d'un capitalisme tourné vers la sphère numérique. C'est l'intérêt premier de ce livre qui ne se borne pas exclusivement à une analyse économique de cette thématique.
Cet ouvrage a le mérite de chercher les risques inhérents et des pistes de réflexion au développement de l'économie numérique, nouvelle source pour le capitalisme. La question des déséquilibres et des inégalités reste centrale pour l'auteur, mais se redessine sous une nouvelle structure de domination entrepreneuriale (les géants du numérique, rois de cet espace numérique), de nouveaux moyens de production (intangible) et une nouvelle forme de capitaux (les données personnelles, nouvel or digital).
Trois axes de réflexion semblent nécessaires pour nuancer les propos et pousser les recherches initiées dans le livre de Cédric Durand :