Le pluralisme en économie est-il « l’antichambre de l’obscurantisme » (J.Tirole) ? Les économistes hétérodoxes sont-ils des « charlatans » ou des « négationnistes » (P. Cahuc et A. Zylberberg) ? La violence des attaques des économistes dominants contre les courants critiques en économie est à la mesure de leur désarroi face à l’inquiétante évolution du monde. À l’opposé de leurs détracteurs, les auteur-e-s de ce livre soutiennent qu’en économie, comme dans les autres disciplines, le pluralisme est la condition d’une science vivante : ce n’est qu’en confrontant les hypothèses, les méthodes et les résultats qu’on peut avancer dans la compréhension d’une réalité sociale complexe. Ils mobilisent les travaux récents en épistémologie des sciences sociales pour démontrer l’inanité des prétentions de MM. Cahuc et Zylberberg à détenir le monopole de la science. Ils montrent aussi combien leurs jugements catégoriques sur l’effet désastreux des 35 heures sont dénués de tout fondement scientifique.
Cet ouvrage est une réponse collective d'économistes membres de l'AFEP (L'association française d'économie politique) mais aussi des "Economistes atterrés" au pamphlet écrit par Pierre Cahuc et André Zylberberg (deux économistes français orthodoxes et spécialisés dans les questions d'économie du travail) : "Le négationnisme économique et comment s'en débarrasser ?", 2016. Ce pamphlet est une attaque violente envers les économistes hétérodoxes et le pluralisme en économie car les deux auteurs pensent que l'économie est devenue une science expérimentale (au même titre que la physique par exemple) pouvant ainsi produire des lois scientifiquement rigoureuses et que les remettre en cause relèverait du "négationnisme scientifique". Le livre de l'AFEP et des "économistes atterrés" parle d'abord d'épistémologie en montrant la faiblesse des connaissances de Cahuc et Zylberberg en la matière. Ils démontrent aussi que l'économie expérimentale n'est pas un courant qui fait l'unanimité au sein des économistes. L'ouvrage revient aussi sur les quelques démonstrations de Cahuc et Zylberberg concernant des questions liées à l'économie du travail (les effets du Smic sur l'emploi par exemple). Enfin (et surtout), cet ouvrage montre l'importance du pluralisme et de la controverse scientifique en économie: " Le pluralisme est la condition d'une science vivante: ce n'est qu'en confrontant les hypothèses, les méthodes et les résultats qu'on peut avancer dans la compréhension d'une réalité sociale complexe".
Bien que cet ouvrage parle de questions complexes, il reste abordable. La question de l'épistémologie et de la méthode expérimentale en économie sont abordées de manière compréhensives et rigoureuses. Concernant les auteurs de cet ouvrage collectif: "Les économistes atterrés" est une association d'économistes créée en 2010 suite à un manifeste publié dans le but de critiquer les postulats néolibéraux qui inspirent les pouvoirs publics malgré la crise de 2008. Concernant l'AFEP, c'est une association créée en 2009 par des économistes qui critiquent l'orientation académique et intellectuelle prise par l'économie et qui tentent de promouvoir le pluralisme dans le champ de l'économie académique. Enfin, il me semble important de faire un parallèle entre cet ouvrage et une autre controverse: en 2015, l'AFEP a tenté de créer une nouvelle section d'économie à l'université favorisant le pluralisme et les approches hétérodoxes de l'économie (la section "Institutions, économie, société, territoires"). Cependant, alors que cette section était sur le point d'être créée, Jean Tirole, tout juste auréolé du prix Nobel d'économie, s'est interposé très violemment. Dans sa lettre envoyée à la secrétaire d'Etat de l'enseignement supérieur de l'époque, il dénonce cette section en disant qu'elle va engendrer un "relativisme des connaissances, antichambre de l'obscurantisme". Finalement, cette section n'a pas vue le jour. Ainsi, ce livre s'inscrit dans un contexte de tension déjà très forte entre les économistes orthodoxes et hétérodoxes français, et qui nous montre à quel point le pluralisme en économie est difficile à faire vivre au sein du monde universitaire face à une économie dominante qui y est encore très réticente.